Attention à la colère de l’activiste LGBTQ+
Peut-on empêcher la fragmentation du mouvement LGBTQ+ global?
Toute campagne pour la justice sociale demande un certain niveau de mégalomanie. Avoir le courage de dire à la société : « vous avez tort et nous avons raison » nécessite un égo.
Malheureusement, cela signifie parfois aussi que le mouvement LGBTQ+ peut être impitoyable, suffisant et rapide à « annuler », y compris les siens. Les médias sociaux ont bien sûr amplifié cette tendance — non seulement parce qu’ils fournissent un certain niveau de distance avec l’objet de la colère, mais aussi parce que trafiquer dans l’indignation et le conflit est immensément récompensé.
La façon dont nous traitons les questions telles que la représentation policière ou celle du secteur privé dans les Pride, l’annulation de plate-forme d’activistes tels que Peter Tatchell en Angleterre et les innombrables appels au boycott illustrent l’intransigeance avec les différences et les faux pas au sein du mouvement. Les différends se transforment rapidement en insultes, qui à leur tour conduisent à des divisions irréparables.
Bien entendu, ces controverses publiques ne sont que le sommet de l’iceberg. Au sein du monde associatif, le dialogue respectueux et consensuel s’est également effiloché : le magazine LGBTQ+ Têtu présente ce mois-ci un article intitulé « Les associations françaises en burn-out ». Cette année, j’ai participé à une discussion au cours de laquelle une personne trans a malmené une autre personne trans à cause de difficultés en anglais — la virulence de la réaction immédiate m’a déconcerté. Cela soulève la question suivante : quel est l’ennemi que nous combattons ?
Cette intransigeance se répercute parfois sur la manière dont nous dialoguons la société dans son ensemble. Je me souviens encore de la manière dommageable dont un militant français a introduit le pays en 2018 au concept de non-binarité en direct sur un plateau de télévision. Nos dirigeants, lorsqu’ils semblent méprisants et en colère, peuvent parfois devenir les pires porte-parole de notre communauté.
Ce n’est pas un hasard si ces polémiques internes se déroulent dans les endroits les plus tolérants du Monde, ceux où vivre LGBTQ+ est devenu plus facile. Freud l’a décrit comme le narcissisme des petites différences (« der Narzissmus der Kleinen Differenzen ») l’idée que « les communautés avec des territoires adjacents et des relations étroites sont particulièrement susceptibles de s’engager dans des querelles et le ridicule mutuel en raison de l’hypersensibilité aux détails de différenciation ».
A l’inverse, les communautés LGBTQ+ qui font face à des environnements hostiles — toujours la grande majorité dans le monde — ont tendance à avoir des préoccupations qui nécessitent une unité mondiale : sécurité physique, sécurité alimentaire ou accès aux opportunités économiques de base.
Malheureusement, le risque est qu’en affaiblissant le mouvement en Occident — à un moment où la politisation de l’homophobie flambe à l’échelle mondiale — des militants bien intentionnés freinent le rythme du changement social mondial pour nos frères et sœurs en difficulté (lire l’article de Graeme Reid/Human Rights Watch cette semaine : L’homophobie politique monte en puissance).
La solution pourrait être de mieux communiquer les objectifs primordiaux de notre mouvement, de créer des institutions internationales LGBTQ+ représentatives et légitimes, mais aussi de se rappeler que sans une communauté quelque peu unifiée, nous n’aurions jamais connu les progrès que nous avons réalisés jusqu’à présent. Le terme LGBTQ+ est un édifice politique mais un édifice toujours utile.